Un véritable pouvoir pour les régions est-il possible?

Jean-François Fortin, enseignant en Sciences politiques

À chaque campagne électorale, le rôle et l’importance des régions dans un Québec « de demain » sont abordés par les grands partis. C’est un passage obligé, une figure imposée dans cette chorégraphie électorale où le metteur en scène de chaque formation politique doit inclure du « contenu régional » à la campagne nationale et, idéalement, une tournée — la plus rapide possible — de ces « zones » où peu de gains sont à faire, le vote y étant généralement plus cristallisé qu’ailleurs.

Prenons le temps de nous rappeler qu’au Québec, plus des deux tiers des 125 circonscriptions électorales sont situées dans des zones urbaines et périurbaines ou localisées dans des enclaves proches de grandes villes où l’économie est interdépendante des politiques touchant ces secteurs densément habités. Le discours politique dominant actuel s’adresse essentiellement à cet électorat stratégique, dans cette période circonscrite dans le temps — du 29 août au 1er octobre — où chaque déclaration est importante et peut concrètement être monnayable en votes déposés dans l’urne le moment venu.

Bien que, généralement, les chefs se prononcent avec énergie et vigueur pour des régions dynamiques et prospères — vous l’aurez compris — ce n’est pas là que se gagne (ou se perd) une élection. Il faut simplement y maintenir ses appuis.

Paradoxalement, les régions sont, malgré le peu de poids politique formel qu’on leur confère, essentielles à la vitalité des centres urbains. Au-delà des ressources naturelles et matérielles (nécessaires à l’économie québécoise), les régions du Québec portent en elles l’appartenance au territoire, le patrimoine génétique du Québec, son histoire et son identité.

Le Québec ne peut être le Québec sans ses régions, sans régions fortes, responsables de faire circuler cette vitalité essentielle et utile à la dynamique du pays.

Certains partis n’ont-ils pas démontré de l’ouverture sincère face aux réalités des régions, et n’ont-ils pas affirmé qu’ils veulent que les régions soient entendues? Oui, je le pense, mais détrompez-vous, malgré les déclarations favorables aux régions de quel que parti que ce soit, le respect et le véritable développement durable des régions ne passera que par un pouvoir régional officiel, défini et reconnu.

Dans le cadre politique actuel, nous sommes confinés à un modèle où le poids démographique et la représentativité politique traditionnelle qu’elle confère accordent une prépondérance aux décisions des grands centres. Les grandes villes auront toujours un plus grand nombre d’électrices et d’électeurs et, conséquemment, un plus grand nombre de personnes élues ayant des préoccupations propres aux enjeux qui les concernent.

Il faut donc repenser le cadre politique actuel pour redéfinir le rapport de force souhaité, avec des principes qui pourraient rallier les intérêts de toutes les régions du Québec (incluant les grands centres) pour que cela soit réalisable.

Le pouvoir des régions

Dans un premier temps, le pouvoir des régions doit passer par de réels mécanismes de décentralisation et de déconcentration du pouvoir et la mise en place d’une plus grande autonomie politique pour les régions permettant, entre autres, une priorisation de leurs politiques de développement. Elles sont actuellement définies et appliquées à partir de Québec. C’est réalisable dans le cadre des mécanismes actuels; l’État québécois a ce pouvoir. A-t-il la volonté de s’en départir? C’est une autre question.

Réformes

Les mécanismes de démocratie représentative en vigueur au Québec et au Canada — hérités de la conquête britannique — sont archaïques. Le Québec a besoin d’une réforme démocratique qui doit inclure, bien entendu, le changement de notre mode de scrutin (majoritaire uninominal à un tour) — le plus vieux modèle au monde — imposé par l’Angleterre. Cela ne doit pas s’arrêter là. D’autres possibilités de réformes sont aussi envisageables.

Cette réforme démocratique attendue peut également être l’occasion — pour nous — de réfléchir à la création de nouveaux mécanismes qui nous permettraient de mieux défendre et représenter les citoyens, peu importe où ils vivent sur le territoire québécois.

La création d’une Chambre des régions, une deuxième chambre décisionnelle, viendrait conférer une réelle importance aux régions québécoises. Ce modèle est utilisé ailleurs dans le monde pour des États ayant des particularités similaires. Cet ajout permettrait un véritable équilibre et la mise en place d’un contrepoids à Québec.

Qu’est-ce qu’une Chambre des régions? Soyons ouverts et prenons l’exemple des États-Unis.

Il existe deux chambres décisionnelles au sein du Congrès américain : la Chambre des représentants (l’équivalent de nos députés) dont les élus — 435 membres — sont choisis sur une base démographique par circonscription électorale, comme au Québec, et le Sénat américain, où siègent deux élus (sénateurs) par États, sans égard à la démographie ou à la grandeur des États qu’ils représentent. Le petit Maine a donc deux sénateurs et la grande et populeuse Californie a également deux sénateurs.

Puisqu’il y a 50 états américains, il y a donc 100 sénateurs élus par la population de leur région (État) qui siègent au Congrès.

Équilibre et contrepoids

L’équilibre et le contrepoids (au sein du Congrès) entre la Chambre des représentants et le Sénat sont des principes importants de la démocratie américaine puisqu’une loi, pour être adoptée, doit avoir l’assentiment d’une majorité d’élus des deux Chambres.

Donc, de manière concrète, les décisions doivent plaire à la fois à une majorité de la population et à une majorité de régions. Les États populeux ne peuvent dicter l’ordre du jour sans l’assentiment des régions.

Cette formule établissant un contrepoids à la majorité démographique permet d’accorder de facto un droit de veto (blocage) si un projet de loi ou une décision ne plaît pas à une majorité des régions.

Modèle québécois : rêvons un peu

Sur la base des dix-sept régions du Québec, dans une formule hypothétique où trois élus par région pourraient être choisis par les populations locales pour siéger au parlement (dans l’ancienne salle du Conseil législatif à Québec), on aurait 51 élus régionaux de plus qui pourraient faire entendre leur voix. Montréal aurait trois représentants, la Gaspésie trois et le Bas-St-Laurent trois, ainsi de suite... Il est facile de comprendre que cette chambre apporterait un pouvoir réel aux régions quant aux directions politiques qui y sont prises.

Bon, vous me direz que les changements de cette ampleur prennent du temps en politique, mais — comme vous le savez — il faut commencer à les demander, à les revendiquer et à militer pour qu’ils adviennent un jour.