Devrait-on interdire les relations intimes entre les profs et les élèves?

Catherine Paradis, responsable du dossier de la condition des femmes

C’est l’épineuse question sur laquelle s’est penchée l’Assemblée générale lors de sa réunion du 27 novembre, et dont nous discuterons lors d’une demi-journée syndicale, le jeudi 10 janvier 2019 de 13 h 30 à 16 h 30, à la Cinquième Saison (A-234).

Pourquoi?

Comme vous le savez, la loi P-22.1 (projet de loi 151), Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur, oblige les collèges et les universités à établir une politique qui doit être adoptée par les institutions avant le 1er janvier 2019 et mise en œuvre au plus tard le 1er septembre 2019. L’objectif de cette loi est de favoriser un milieu de vie sain et sécuritaire pour les personnes étudiantes et les membres du personnel.

Les membres du SEECR ont été consultés du 22 au 31 octobre sur le texte de cette politique. Nous avons organisé une réunion de travail sur ce thème le 23 octobre, colligé les commentaires des personnes qui y ont participé et transmis ceux-ci au Collège. Les membres consultés et le Comité de coordination syndicale ont toutefois refusé de se prononcer sur le code de conduite encadrant les relations intimes, jugeant préférable que cette question délicate soit discutée en assemblée générale. Car il faut savoir que « La politique doit […] inclure un code de conduite prévoyant les règles qu’une personne, ayant une relation pédagogique ou d’autorité avec un étudiant, doit respecter si elle entretient des liens intimes tels qu’amoureux ou sexuels avec celui-ci. Ce code de conduite doit comprendre un encadrement ayant pour objectif d’éviter toute situation où pourraient coexister ces liens et relations lorsqu’une telle situation risque de nuire à l’objectivité et à l’impartialité requises dans la relation ou de favoriser l’abus de pouvoir ou la violence à caractère sexuel. » (article 3 de la Loi).

Interdire ou ne pas interdire?

Deux options s’offrent aux établissements d’enseignement supérieur : interdire les relations intimes ou les permettre; dans ce dernier cas, celles-ci doivent être encadrées. Le Comité de direction du Collège a proposé, dans son projet de politique, de ne pas interdire les relations intimes mais de les encadrer.

En effet, après avoir affirmé que ce type de relation devrait être évité (sans toutefois être interdit), la Direction, suivant la recommandation de la Fédération des cégeps, propose l’encadrement suivant : 

Si la relation existe préalablement à l’admission de la personne étudiante ou à l’embauche du membre du personnel au Collège, ou si une relation intime se développe au cours d’une relation pédagogique, d’une relation d’aide ou d’une relation d’autorité, une déclaration doit être remplie par la ou le membre du personnel, signée par les deux parties et remise à la direction des ressources humaines dans les meilleurs délais.

Lors de l’assemblée générale du 27 novembre, les membres étaient donc invités à dire s’ils étaient d’accord ou non avec cette proposition ou à proposer d’autres avenues, dans le cadre de la loi.

Différentes propositions ont été reçues, mais puisque le temps a manqué, l’Assemblée a jugé préférable de les reporter à la prochaine assemblée, le 11 décembre, soit le jour même de l’adoption de la politique au Conseil d’administration. Le Comité de coordination syndicale a alors obtenu l’assurance que la politique demeurerait « ouverte et perfectible » et qu’il pourrait transmettre son avis cet hiver, la politique n’entrant en vigueur qu’au 1er septembre.

Afin d’offrir un espace de discussion adéquat, l’Assemblée générale, lors de sa réunion du 11 décembre, a décidé d’organiser une demi-journée syndicale sur ce thème en janvier. Les recommandations issues de cette activité reviendront bien sûr en assemblée générale.

Oui, mais pourquoi un tel code de conduite?

Comme le rappelle le rapport Violences sexuelles en milieu universitaire au Québec1publié en décembre 2016, « les violences sexuelles en milieu universitaire [VSMU] ne sont pas des situations rares, isolées et se produisant exclusivement lors des activités festives étudiantes. Des abus de pouvoir, des inconduites, voire des agressions au sens criminel, prennent place lors des activités d’études, d’enseignement ou de travail, c’est-à-dire des activités qui sont la raison d’être d’un établissement d’enseignement supérieur » (p. 74). Or, « [p] rès du tiers (30,3 %) des personnes ayant subi une forme de VSMU rapporte qu’au moins une situation impliquait une personne détenant un statut supérieur [le plus souvent un enseignant], un pourcentage qui augmente à plus de 40 % dans les situations de coercition sexuelle » (p. 34).

C’est entre autres sur ce rapport que s’est appuyée la ministre Hélène David pour élaborer la Loi. Le projet de loi proposait d’emblée que les politiques des collèges et des universités incluent « un code de conduite visant notamment à encadrer les liens intimes, amoureux ou sexuels qui peuvent s’établir entre un étudiant et une personne ayant une influence sur le cheminement de ses études, qu’elle soit membre du personnel ou dirigeante de l’établissement », ce avec quoi l’ensemble des organismes qui ont participé aux consultations menées en novembre 2017 étaient d’accord. Tant les fédérations étudiantes que les syndicats d’enseignantes et d’enseignants ont même recommandé que de telles relations soient carrément proscrites par la loi2, argüant notamment que l’autorité vient vicier le consentement et que l’abus représente un risque réel.

C’est d’ailleurs ce que recommandait la Fédération des cégeps3. Il faut dire que la question est particulièrement sensible pour les collèges en raison de l’âge des étudiantes et des étudiants. En 2016, l’âge moyen du cégépien ou de la cégépienne était de 20 ans. En 2014, 68 % des élèves de 5e secondaire s’engageaient sans hiatus dans des études collégiales4. Une forte proportion de nos étudiantes et de nos étudiants en première année sont donc mineurs ou à peine majeurs.

Quoi qu’il en soit, le gouvernement a plutôt choisi de laisser aux établissements d’enseignement supérieur le soin de préciser ledit code de conduite.

Une belle occasion d’en parler

Nous en discuterons donc ensemble le jeudi 10 janvier prochain, à compter de 13 h 30. D’ici là, nous vous invitons à prendre connaissance de l’ensemble de la politique, en portant une attention particulière à l’article 9.0, mais également aux définitions, qui précisent notamment ce qu’on entend par violence à caractère sexuel et par relation pédagogique et relation d’autorité.

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Notes

  1. BERGERON, M. et al., Violences sexuelles en milieu universitaire au Québec : Rapport de recherche de l’enquête ESSIMU, Montréal : Université du Québec à Montréal, 2016, [En ligne]. Adresse URL : https://essimu.quebec/wp/wp-content/uploads/2015/12/Rapport-ESSIMU_COMPLET.pdf, page consultée le 11 décembre 2018. Voir aussi : ELKOURI, Rima, « Violences sexuelles à l’université : un fléau bien réel », La Presse, 16 janvier 2017, [En ligne]. Adresse URL : https://www.lapresse.ca/actualites/education/201701/15/01-5059860-violences-sexuelles-a-luniversite-un-fleau-bien-reel.php, page consultée le 11 décembre 2018.
  2. LAMONTAGNE, Kathryne, « Projet de loi 151 : pas de relation prof-étudiant, plaident deux regroupements », Le Journal de Québec, 14 novembre 2017, [En ligne]. Adresse URL : https://www.journaldequebec.com/2017/11/14/projet-de-loi-151-pas-de-relation-prof-etudiant-plaident-deux-regroupements, page consultée le 11 décembre 2018.
  3. FÉDÉRATION DES CÉGEPS, Mémoire présenté à la Commission de la culture et de l’éducation de l’Assemblée nationale du Québec sur le projet de loi nº 151. Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur, recommandation 12 (page 10), novembre 2017, [En ligne]. Adresse URL : http://www.fedecegeps.qc.ca/wp-content/uploads/2017/11/F%C3%A9d%C3%A9ration-des-c%C3%A9geps-M%C3%A9moire-PL-151-Violences-%C3%A0-caract%C3%A8re-sexuel.pdf, page consultée le 11 décembre 2018. 
  4. PERRON LANGLOIS, Ariane, « On n’a plus les cégépiens qu’on avait... et on en a davantage! », Radio-Canada, 21 août 2018, [En ligne]. Adresse URL : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1119280/cegep-etudiant-adulte-dec-technique-pre-universitaire-quebec, page consultée le 11 décembre 2018.