Les lanceurs d’alerte, ces vigies de l’intérêt public

Stéphane Imbeault, enseignant en Philosophie

Ma seule motivation est d’informer le public sur ce qui est fait en leur nom et ce qui est fait contre eux.

– Edward Snowden 

À une époque de supercherie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire.

– Georges Orwell

On les surnomme « lanceurs d’alerte », « fuiteurs » ou « whistleblowers ». À l’image de ces canaris disposés dans les mines de charbon au 19e siècle afin de prévenir les mineurs des émanations toxiques ou d’éventuels coups de grisou survenant au cœur des galeries souterraines, ces citoyens se font le devoir de dénoncer les injustices, d’oser la transparence… tout en risquant gros, très gros!

Qu’ont en effet en commun Émilie Ricard, cette jeune infirmière exténuée dont le cri du cœur a fait le tour des médias sociaux, Kathya Dufault, enseignante congédiée cavalièrement par sa Commission scolaire lorsqu’elle a divulgué certaines informations au chroniqueur Patrick Lagacé de La Presse ou Louis Robert1, agronome expert au service du MAPAQ depuis 32 ans, récemment renvoyé par son propre ministère pour « délit de vérité », pour avoir dénoncé l’ingérence du privé dans la recherche publique sur les pesticides? Ce sont toutes et tous des individus ayant levé le voile sur des situations qu’ils jugeaient intolérables et insoutenables au sein de leur milieu de travail, situations qui étaient pourtant d’intérêt public. La Commission européenne a d’ailleurs défini le lanceur d’alerte comme étant « toute personne qui tire la sonnette d’alarme afin de faire cesser des agissements pouvant représenter un risque pour autrui. »

Une crise profonde

Mais à quoi, au juste, sont dues les manifestations récurrentes de ces lanceurs d’alerte? Selon nous, elles sont d’abord symptomatiques d’une incompatibilité de nos systèmes de gouvernance actuels avec l’exigence de transparence nécessaire au lien de confiance des citoyens envers leurs institutions (p. ex. : libre accès à l’information). Elles sont également issue d’une profonde crise qui secoue le secteur de la fonction publique et de ses différents organismes. N’oublions pas qu’à l’origine, ces derniers avaient été mis en place dans un souci du bien commun et dans le but de protéger un certain idéal social-démocrate. Malheureusement, sous les secousses répétées des vagues néolibérales, ces digues érigées face à la cupidité des puissances de l’argent démontrent désormais des signes avant-coureurs de fissuration ou même d’affaissement total. Ainsi, le désengagement progressif des gouvernements qui se sont succédé, l’abandon de pans entiers de leur mission traditionnelle ainsi que leur refus de jouer leur rôle d’arbitre face à des enjeux cruciaux comme la protection de l’environnement pourraient expliquer en partie l’origine du phénomène.

En effet, ce n’est pas un hasard si certains individus, dotés d’une forte éthique de la responsabilité, écartelés entre leur vocation à bien effectuer leur travail et les contraintes de leur milieu qui les en empêchent, sont portés à rompre le silence. C’est qu’ils considèrent qu’il est de leur ressort, comme acteur moral et en tant que membres de la fonction publique, de rappeler à l’ordre nos gouvernements en les rendant imputables et en les plaçant face aux obligations légales qu’ils ont envers la collectivité.

Un conflit d’allégeance

Tout lanceur d’alerte est toutefois placé devant un dilemme cornélien entre deux types de loyauté : celle vis-à-vis son employeur (ministère, organisme public, entreprise, etc.) et celle envers la population qui demeure, ultimement, son commettant. S’apparentant à une forme de désobéissance civile, leur conduite tire sa légitimité du fait qu’ils dénoncent publiquement des agissements pouvant causer un tort ou un préjudice grave à des personnes. Cela peut concerner des activités illicites (malversation, copinage, conflit d’intérêts), de l’abus de pouvoir, des conditions de travail se détériorant, des techniques nocives pour la santé de la population, des mesures de sécurité publique compromettant certains droits fondamentaux, etc.

Les problématiques au plan sanitaire, éducatif, écologique et économique que nous voyons poindre à l’horizon démontrent plus que jamais la nécessité d’avoir des chiens de garde opérants et influents. Mais encore faut-il que ceux-ci bénéficient d’une protection juridique suffisante. Dans un récent article paru dans le quotidien Le Soleil, Philippe Lampron, ce professeur en droit de l’Université Laval, considérait que « lorsqu’il est question d’employés de l’État, un certain droit de parole devrait être préservé. Ainsi, l’obligation de loyauté envers l’employeur (le ministère) devrait être moins importante que le droit du public à l’information. […] En imposant une chape de plomb sur les épaules des fonctionnaires, on sape peut-être l’un des véhicules les plus rapides pour que le public ait accès à l’information […]. »2 Bref, briser le secret, dénoncer l’omerta, mettre en lumière les périls auxquels nous faisons face sera sans doute l’un des enjeux centraux de nos démocraties dans un avenir rapproché.

En terminant, il est à souhaiter que la prochaine ronde de négociation puisse permettre d’assurer une meilleure protection de ces veilleurs de la démocratie. Aussi, en s’inspirant de ces « fuiteurs » — et à l’image de la campagne #Metoo — il faudra peut-être envisager nos stratégies de revendication sous l’angle de la protection du bien commun et de l’intérêt général, car il y actuellement un réel péril en la demeure. #Noussommeslepublic

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Notes

  1. Une pétition du Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) demandant sa réintégration immédiate dans son emploi a d’ailleurs reçu plus de 43 000 appuis à ce jour.
  2. CLOUTIER, Patricia, « Lanceur d’alerte congédié “Une dérive de l’obligation de loyauté” », Le Soleil, 5 février 2019, [En ligne]. Adresse URL : https://www.lesoleil.com/actualite/lanceur-dalerte-congedie-une-derive-de-lobligation-de-loyaute-7e8346ec32002936979f22b0a4765f7e, page consultée le 26 février 2019.