« C’est quoi ça, le 8 mars », de 1982 à 2021

Élise Côté-Levesque, enseignante de littérature, membre du comité féministe du SEECR

En mars 1982, un numéro de La Riposte est consacré en partie au 8 mars. Hélène Sylvain, enseignante en Soins infirmiers, y explique à quoi ça sert, le 8 mars, et ce que ça représente. Elle y souligne que « le travail à temps partiel légitimise l’infériorité sociale et économique des femmes », que « les coupures de $1 milliard dans les services publics ont “favorisé” pour beaucoup le retour à la maison », qu’« [e]n temps de crise, les femmes sont toujours les premières à être touchées et elles le sont durement ». Je dois dire que je peine à voir le fossé qui nous séparerait de cette époque, qu’à partir de ces propos, j’arrive difficilement à mesurer les véritables acquis que les femmes seraient allées chercher. Progrès il y a eu, sans doute, mais acquis, mais égalité? Permettez-moi d’en douter.

Tenez : en 1982, ma mère manifestait pour la création d’un réseau public de garderies (j’ai même un tablier de cuisine qui témoigne de cette lutte!). Et aujourd’hui, où en sommes-nous sur ce front? Comme moi, vous avez sans doute dans votre entourage un ou une jeune parent qui a dû retarder son retour au travail parce qu’une place en garderie n’avait pu être obtenue pour l’enfant. Dans un contexte où l’écart salarial entre les hommes et les femmes était de 13,3 % au Canada en 2018, ce sont évidemment les femmes, dont le salaire est généralement inférieur, dont les emplois sont généralement plus précaires, qui sont appelées à rester à la maison. Je vous invite d’ailleurs à lire le texte de notre collègue Benoît Collette, dans cette Riposte, pour des précisions sur l’impact qu’a eu l’arrivée des CPE sur l’emploi des femmes. Et pour comprendre que ce que nous avons gagné avec les CPE, nous sommes en train de le perdre.

D’une crise à l’autre

En 1982, le Québec vit une récession économique — à laquelle Sylvain fait référence — contexte de crise qui n’est pas sans rappeler la pandémie actuelle. Force est de constater qu’encore une fois, la crise actuelle est un incroyable révélateur d’inégalités, dans des domaines bien variés. Prenons la recherche scientifique, par exemple. Domaine longtemps réservé aux hommes, les dernières années avaient pourtant vu une augmentation des publications par des femmes (augmentation inégale selon les domaines : plus forte en biologie et dans les sciences médicales, moindre en physique et en génie). Mais après le confinement amorcé en mars 2020, le recul est majeur : Vincent Larivière, dans une analyse publiée en mai dernier dans la revue Nature Index, parle d’un retour en arrière de 10 ans. Pour la simple et bonne raison que, écoles et garderies fermées, ce sont les femmes qui, encore une fois, ont investi le plus de leur temps et de leur énergie dans les soins aux enfants et à la famille; ce sont encore elles qui sont contraintes de délaisser leur travail. Résultat : les chercheures en début de carrière ont publié moins d’articles et risquent ainsi de ne pas obtenir les postes qu’elles convoitaient. Portant cette charge, elles ont aussi moins été en mesure de préparer rapidement de nouveaux projets de recherche portant sur le virus, ce qui signifie qu’elles n’ont pas pu profiter des fonds de recherche débloqués au cours de la dernière année. Les effets dans le monde de la recherche pourraient donc prendre du temps avant de ne plus se faire sentir — avant de revenir non pas à l’égalité, mais bien à une inégalité un peu moins grande.

Ce que l’analyse de Vincent Larivière mesure dans le domaine de la recherche scientifique, nombre de femmes l’ont vécu, tous domaines confondus. Sans compter que les femmes sont majoritaires dans les emplois en santé et en enseignement, des secteurs particulièrement affectés par la pandémie, où la charge de travail s’est considérablement alourdie — en même temps que celle à la maison explosait. On note de plus que les entrepreneures ressentent plus durement la crise que les entrepreneurs, justement parce qu’elles ont eu moins de temps à consacrer à leur entreprise en raison de l’explosion de leur charge de travail à la maison.

En ce qui concerne les pertes d’emploi, le portrait n’est pas plus encourageant : ce sont les secteurs de la restauration, du commerce de détail et de l’hébergement qui ont été les plus touchés, secteurs où l’on retrouve davantage de femmes.

Relance

Le problème, c’est que lorsque vient le temps de planifier la relance, cet état de fait pourrait ne pas être pris en compte : la tendance est souvent aux investissements dans les infrastructures (le fameux béton!) et dans des secteurs traditionnellement masculins. À titre indicatif, les études ont démontré que la relance après la crise financière de 2008-2009 a profité aux hommes deux fois plus qu’aux femmes. Il y a donc un risque réel que les inégalités toujours présentes, creusées par la pandémie, ne soient encore aggravées par la relance.

Je salue l’intervention de Dominique Anglade, la cheffe libérale, reconnaissant les iniquités de la pandémie et appelant par exemple à ce que tous les projets de loi fassent l’objet d’une analyse différenciée selon les sexes. C’est là une façon de s’assurer qu’ils n’auront pas de conséquences spécifiques sur la condition des femmes et qu’ils n’omettent pas carrément de les considérer. Mais aussi louable soit-il, je ne peux oublier que ce discours vient du parti de l’austérité, du parti qui a sabré dans les services publics, qui a fragilisé davantage le système de santé et le monde de l’éducation, qui a coupé les vivres au communautaire. Le titre de l’essai d’Aurélie Lanctôt, Les libéraux n’aiment pas les femmes, paru en 2015, est d’ailleurs fort éloquent, tout comme le rapport de recherche de l’IRIS sur les conséquences des mesures d’austérité sur les femmes.

39 ans plus tard... 

En 2021 comme en 1982, le chemin vers l’égalité entre les hommes et les femmes n’est pas terminé. Il semble constitué d’interminables boucles et rencontre toujours les mêmes obstacles. Comme par le passé, il est plus que nécessaire de cerner les problèmes auxquels nous faisons face, de reconnaître les inégalités non seulement persistantes, mais parfois même croissantes, et de se mobiliser pour exiger que les choses changent — sans attendre que les changements arrivent miraculeusement d’en haut. C’est ça, le 8 mars.