Une brève histoire du temps (de travail)

Benoît Collette, responsable de la convention collective 2

Il y a une douzaine de milliards d’années, «boum!», fit le big bang, et ainsi naquit l’univers. Avance rapide sur le VHS du temps et nous voici, en banlieue de la Voie lactée, sur une boule de matière en orbite autour d’une étoile appelée le Soleil, en 1967 après Jésus-Christ. En cette année mémorable, notamment pour l’expo et les fleurs dans les cheveux (fallait y être niaiseux, dixit la chanson), une nouvelle institution prit son envol : le réseau des cégeps. 

 

Les origines : CARLOS et CETEC

Avec la constitution d’un nouveau réseau flambant neuf, la question du temps de travail se pose : comment mesurer le temps de travail des profs de cégep, ces nouvelles créatures? Cette question trouble les fonctionnaires du ministère de l’Éducation jusque dans leur sommeil et on procédera, au cours de la première décennie du réseau, à une série d’études et d’enquêtes pour créer un modèle d’évaluation de la charge de travail, modèle dont les bases subsisteront jusqu’à nos jours. Les deux fondements de la formule actuelle sont le rapport CARLOS (du nom de son auteur, à ne pas confondre avec le célèbre guitariste de l’époque, Carlos Santana) et le rapport CETEC (Commission d’étude de la tâche enseignante du collégial).

 

Le rapport CARLOS, en septembre 1974, définit les cinq composantes générales de la tâche enseignante : la planification à long terme, la préparation à court terme, la prestation, l’évaluation et les activités connexes, pour un total de 56 éléments!

 

L’année suivante, le rapport CETEC recommande que le «fardeau d’enseignement» (sic!!!) entre les disciplines soit divisé en fonction de deux types d’activités :

1. Activités de bases (planification à long terme et activités connexes) dont la valeur est fixe pour chaque discipline.

2. Les activités centrales marquées par les éléments suivants :

  • Préparation à court terme : nombre d’heures de cours différents à préparer par semaine (HP);

  • Prestation : nombre d’heures contact (HC);

  • Évaluation : nombre d’étudiantes et d’étudiants rencontrés chaque semaine (PES).

 

Ainsi donc, on peut voir, dès 1975, les grandes lignes du calcul de la charge individuelle (CI) qui est encore en vigueur. 

 

La période TIM

Lors de la négociation de la convention collective 1975-1979, on introduit une formule d’allocation des ressources entre les collèges, en se basant sur les paramètres des rapports CARLOS et CETEC, auxquels on ajoute un nouveau paramètre (appelé C) : le nombre d’heures de travail par semaine.

 

Ce modèle n’était pas utilisé pour calculer la charge de travail individuelle et les parties ont plutôt fixé des limites maximales d’heures de prestation de cours, en fonction du nombre d’heures de préparation et du nombre d’étudiantes et d’étudiants par groupe-cours, ce qu’on allait baptiser la TIM (pour tâche individuelle maximale, à ne pas confondre avec le joueur de hockey devenu marchand de café). 

 

Selon la TIM, le maximum d’heures de prestation par semaine allait varier de 11 à 20,5 heures par semaine, selon les cas. 

 

La nouvelle formule

La TIM est remplacée par une nouvelle formule, le calcul de la charge individuelle de travail, dans la convention collective 1979-1982, dont les paramètres (HP fixe à 1,0, HC à 0,5 et PES à 0,04) sont issus du modèle de tâche standard de la précédente convention. 

 

Fait à noter pour l’examen : à cette époque, la formule servait à calculer des heures de travail et non des unités, comme c’est le cas présentement. Le maximum moyen théorique était fixé à 39 heures par semaine. 

 

Des mauvaises nouvelles : le décret de 1983

Avec le décret (dont les répercussions se sont fait sentir dans toutes les sphères de la profession, y compris le portefeuille), la formule d’allocation des ressources pour l’ensemble du réseau est abolie et la formule de calcul est maintenue, mais les paramètres HP (qui était fixe à 1,0) passent à 0,9 et le coefficient HC est réduit de 0,5 à 0,2. Ceci a pour effet de diminuer les ressources enseignantes de 12 % pour le réseau. Autre fait à noter pour l’examen : la CI est maintenant exprimée en unités et non en heures. Le décret fixe aussi le temps complet à 80 unités de CI par année et le maximum à 88. 

 

Consolidation du modèle (1986-2005)

En 1986, deux nouveaux paramètres sont introduits, la CI de déplacement (Cid) et la supervision indirecte des stages (Cis), dont la valeur est réduite à 0,89 pour pérenniser la réduction des ressources de 1983. Cette compression tient toujours, près de 40 ans plus tard… C’est pas beau, ça? Le maximum de CI par trimestre est fixé à 55 unités, limite qui tient toujours. 

 

En 1989, le paramètre HP ne sera plus fixe et pourra varier en fonction du nombre de cours différents : 0,9 pour les personnes qui ont 1-2 préparation, 1,1 pour 3 préparations et 1,3 pour 4 préparations et plus. On introduit aussi le paramètre NES, soit le nombre d’étudiantes et d’étudiants rencontrés chaque semaine, dont les limites sont fixées à 75 et 160. Chaque étudiante ou étudiant excédentaire à 160 vaut 0,1 au carré, ce qui fait que la valeur de la CI augmente de manière exponentielle. On ajoutera à la nouvelle convention le calcul pour les libérations, toujours en vigueur.

 

Il n’y aura pas de modification substantielle entre 1995 et 2010. Par contre, le modèle d’allocation des ressources a été considérablement modifié. À partir de 2000-2001, les ressources allouées par le ministère sont déterminées en appliquant la formule qui comprend une constante et une norme par programme multipliée par les PES (période-étudiants-semaine) de ce programme. Les cégeps ont alors la responsabilité de répartir les ressources entre les disciplines en respectant les contraintes du calcul de la CI. Il y a découplage entre le financement et les dépenses et c’est au local que l’on doit s’arranger pour éviter de faire de la surembauche (un déficit sur la masse salariale). 

 

En mars 2008, un comité paritaire composé de représentants de la FNEEQ-CSN, de la FEC-CSQ, de la FAC (fédération autonome du collégial) et du CPNC (comité patronal de négociation des collèges) produit le rapport Enseigner au collégial… portrait de la profession enseignante, qui dresse un portrait exhaustif de la situation de l’enseignement au collégial et qui servira de pierre d’assise à la négociation de la convention 2010-2015 (et dont plusieurs éléments historiques sont repris dans ce texte). La convention 2010-2015 se traduira par une importante injection de ressources (403 ETC au volet 1) et une bonification de certains paramètres. Le facteur HP passe de 1,3 à 1,9 pour 4 préparations et pour limiter le nombre de PES par personne, le coefficient passe de 0,04 à 0,08 pour toutes les PES à partir de 415 et plus en 2014-15. 

 

La convention 2015-2020 marquera des reculs par rapport à la convention 2010-2015 : le facteur HP passe de 1,9 à 1,75 pour 4 préparations et plus et la bonification du facteur HP passe de 0,08 à 0,07. La CI maximale passe de 88 à 85. Ceci se traduit par un alourdissement de la tâche enseignante : pour la même tâche, la valeur de la CI diminue. La toute nouvelle convention 2020-2023, quant à elle, n’apporte pas de modification au calcul de la CI.

 

C’est pas dans ta tête

En conclusion, si vous avez bien suivi cette brève histoire, vous avez remarqué qu’il y a eu un glissement, oui, un glissement des heures de travail vers les unités, ce qui n’est pas sans conséquence. Quelqu’un à temps plein a une charge de 80 unités annuellement, ce qui fait une moyenne de 40 par session. L’article 8-8.00, quant à lui, rappelle que l’enseignante ou l’enseignant à temps complet est à la disposition du Collège six heures et demie (6 ½) par jour, du lundi au vendredi. Ce qui fait 32,5 heures par semaine pour accomplir une tâche équivalente à 40 unités de CI. Si vous avez l’impression que vous n’y arrivez pas, ce n’est pas dans votre tête. À suivre dans une (très) prochaine négociation près de chez vous.