La soirée du 19 mai : « ça brasse dans’ cabane »

Sara Trottier, enseignante en français

Soirée d’information

Un prof qui enseigne depuis 30 ans mentionnait dernièrement que pour la toute première fois de sa carrière, il avait entendu des étudiantes et des étudiants discuter entre eux d’enjeux relevant de la direction générale du Cégep. Cette anecdote montre que certains dossiers d’intérêt public préoccupent même les étudiants.

Le 19 mai au soir, la salle George-Beaulieu a accueilli environ 150 membres du personnel pour s’enquérir du plan de redressement financier du Collège de Rimouski. À l’entrée de la salle, les gardiens de sécurité vérifiaient les cartes d’employés de chacun. Une quinzaine de manifestants étudiants étaient rassemblés à l’extérieur de la salle pour affirmer leur présence. Effectivement, en raison d’une décision de dernière minute de la direction, la communauté étudiante s’est vue refuser l’accès à la rencontre. Puis, au cours de la soirée, le cégep a été visité par une quinzaine de policiers de la Sûreté du Québec. Aucun média ne pouvait assister à la présentation du directeur général.

 

Compte rendu de la soirée

Au moment du dépôt du dernier plan de redressement, il y a 2 ans, la dette du Collège de Rimouski en était à 1 million de dollars. Le Collège cumule aujourd’hui une dette de 3,6 M$ qui s’est creusée dans les deux dernières années. Nous sommes le seul établissement de tout le réseau collégial (qui compte 48 cégeps) qui est endetté. Le CA a donc été chargé par le Ministère d’adopter un nouveau plan de redressement, ce qui sera fait le 21 juin prochain.

Le directeur général François Dornier était accompagné sur scène du président du conseil d’administration, Raymond Lacroix, un ancien diplômé du cégep qui est aujourd’hui vice-président régional — Marchés publics et parapublics chez TELUS Québec. Le volet informatif de la présentation, qui a duré un peu plus d’une heure, a débuté sous le bruit des pas des étudiantes et des étudiants qui, à l’extérieur de la salle, témoignaient de leur présence officieuse malgré leur absence officielle. Monsieur Dornier a d’abord évoqué le modèle de financement, puis le portrait financier récent du Collège. Cette année, l’établissement a atteint l’équilibre budgétaire, déclarait-il fièrement. 

Selon François Dornier, l’endettement du collège est dû à de multiples facteurs. Parmi ceux-ci, mentionnons la structure particulière du Collège et ses organes dispersés sur le territoire ; la vaste offre de programmes (35), égale aux plus grands cégeps de la province, tels Édouard-Montpetit ; le parc immobilier vieillissant ; le manque d’une « culture de la mesure » chez les gestionnaires précédents. On a aussi mentionné les coûts liés aux « dossiers sensibles » (euphémisme désignant les coûts de convention, l’absentéisme, les règlements hors cour et les conflits de travail), ainsi que la « sous-performance des services autofinancés », tels la formation continue, les services aux entreprises, le centre sportif et les résidences.

 

La fin de la présentation a porté sur les 4 options possibles pour la résolution de la dette. Car le directeur général nous prévenait gravement qu’une crise profonde est à venir.

L’option A en est une de compression budgétaire, qui se traduirait concrètement par des suppressions de postes du personnel de soutien ou de personnel professionnel. Monsieur Dornier a déclaré au sujet de cette option : « je peux le faire si je veux ». Il affirmait aussi qu’il s’agit de l’option la plus facile pour un CA, et que ce serait en ce sens qu’irait un administrateur mandaté par l’État si le Collège était placé sous tutelle.

L’option B combinerait à la fois des compressions et la vente de terrains.

Quant à elle, l’option C consiste en la vente des résidences.

L’option « C+ » conjuguerait la vente des résidences, mais le Collège en demeurerait partenaire. Il partagerait les coûts d’exploitation et de rénovation, et compterait sur une offre élargie de services afin de générer des profits. Cette option a été présentée sous la forme d’une diapositive colorée en vert avec des dessins d’arbres et de maisons. Bien qu’on nous prévenait en début de soirée que toutes les options étaient sur la table, c’est cette dernière option qui a été diffusée dans les médias le lendemain.

 

Réactions

La période de questions a occupé les deux heures suivantes, où régnait parfois un climat de confrontation. Les interventions critiquaient le processus, car plusieurs membres du personnel auraient souhaité être consultés bien avant. L’absence des étudiantes et des étudiants a aussi été rapidement remarquée.

 

Certaines personnes suggéraient de se reposer sur la philanthropie des entreprises ; quelqu’un d’autre a proposé de financer à même nos salaires la dette du Collège.

 

Un membre du personnel de soutien a souligné son inquiétude des compressions alors que son corps d’emploi est déjà surchargé.

 

Une autre impression qui se dégageait des interventions était aussi que les dés semblaient pipés d’avance en faveur de l’option C+ ; seulement par son nom, d’abord, puis par les illustrations sur la diapositive et le fait qu’aucun inconvénient n’a été présenté à son sujet contrairement aux autres options. Un membre du personnel a demandé au DG comment il réagissait devant le manque de confiance du personnel, ce à quoi il a répondu par un haussement d’épaules.

 

Répression

Vers 20 h, la Sûreté du Québec est arrivée au cégep à la suite d’un appel visant les étudiantes et les étudiants qui manifestaient pacifiquement en début de soirée. Accusés de méfait pour avoir collé du ruban adhésif sur un mur, les étudiantes et les étudiants ont été séquestrés par les policiers pendant 10 minutes dans le B-304. L’agent Lévesque a déclaré que les étudiantes et les étudiants faisaient l’objet d’une enquête et qu’ils avaient droit à un avocat. Les étudiantes et les étudiants témoignent avoir été insultés et intimidés, puis mis dehors de l’établissement.

 

Conclusion 

Plusieurs questions demeurent. Comment est-il possible de songer à se départir des résidences alors que celles-ci sont au cœur de la mission du Cégep, d’autant plus dans un contexte de baisse d’effectifs et de pénurie de logements ? L’option C+ est-elle même possible ? Le Ministère, qui a payé l’hypothèque des résidences et qui les possède donc, accepterait-il de transférer les profits de la vente au Collège ? Comment faire confiance à un conseil d’administration qui ignore tout de la réalité sur le terrain que vivent les employés du Collège ? Comment se fait-il que le CA, à quelques jours de sa décision, n’ait toujours pas eu accès au rapport de la firme Mallette, commandé par le Ministère pour décrire la gestion interne du Collège de Rimouski ? Pourquoi le Cégep a-t-il appelé la Sûreté du Québec pour réprimer ses propres étudiantes et étudiants et les sortir de leur propre maison d’enseignement ?

 

À travers cette situation de nature gestionnaire, il importe de se recentrer sur la mission de l’éducation ; car présentement, nous voyons uniquement des écoles qui se font compétition, à l’image des étudiantes et des étudiants qui se concurrencent pour la meilleure cote R. Au contraire, une culture de la collaboration, de la consultation, paverait peut-être la voie à la résolution de cette crise, mais aussi à davantage de solidarité, à la fois entre les étudiantes et les étudiants qu’au sein même du réseau collégial. 

 

« Nous ne devons pas oublier que le vrai but de l’éducation est de faire des esprits, pas des carrières.

Une culture qui ne saisit pas l’interaction vitale entre la morale et le pouvoir, qui confond les techniques de gestion

pour de la sagesse, qui ne comprend pas que la mesure d’une civilisation est sa compassion,

pas sa vitesse ou sa capacité de consommer, se condamne elle-même à la mort. »

 

Chris Hedges, journaliste et essayiste américain