Collecto ou l’art possible de (dé)penser en rond ?

Alain Dion, enseignant de cinéma

 

Au cours des derniers mois, je me suis intéressé à Collecto, un organisme à but non lucratif (OBNL) fondé dans le giron de la Fédération des cégeps, la fédération représentant les directions du réseau collégial. Cet OBNL propose divers services comme des achats regroupés, des formations et du perfectionnement, des services de pédagogie numérique et, depuis quelques années, des services d’experts-conseils.

Ce qui a particulièrement attiré mon attention, c’est que Collecto est géré par un conseil d’administration où l’on retrouve, entre autres, des cadres et hors cadres du réseau collégial, des directions générales de collège, y compris le directeur général du Cégep de Rimouski. Même le PDG de la Fédération des cégeps siège sur le conseil d’administration de Collecto.

Conflit d’intérêts ?

Quel est donc le problème me direz-vous ? Ce qui me chicote, c’est que Collecto décroche des contrats dans nos institutions d’enseignement. J’aimerais simplement comprendre comment des gestionnaires de cégep peuvent octroyer des contrats à un organisme dont elles et ils sont les administratrices et les administrateurs? N’y a-t-il pas ici une forte apparence de conflit d’intérêts ? Nous sommes à tout le moins sur un terrain éthique passablement glissant, me semble-t-il.

De plus, en fouillant dans le répertoire des personnes-ressources œuvrant chez Collecto, j’ai constaté que plusieurs experts-conseils sont d’anciennes et d’anciens cadres et hors cadres du réseau collégial. Difficile ici de ne pas conjecturer sur le choix de ces expertises quand vient le temps d’octroyer des contrats. Est-ce que l’on ne s’expose pas à de possibles dérives ? Simplement dit, se pourrait-il que l’on soit tenté de « se donner de la job » entre anciennes et anciens collègues gestionnaires ?

La loi sur les contrats publics stipule qu’un contrat d’une valeur de plus de 125 000 $ doit faire l’objet d’un appel d’offres. Il faudrait donc, alors, obtenir des soumissions de différentes firmes ou organismes. Mais qu’en est-il si le collège octroie quelques contrats de 15 000 $, 25 000 $ ou 45 000 $ ? Le tout se règlera possiblement de gré à gré avec une firme au choix du collège. Vous me direz que ce ne sont pas des sommes astronomiques, mais cet argent est quand même puisé à même le budget de fonctionnement de nos collèges publics.

Je ne sais pas si c’est le cas — il est difficile d’obtenir de l’information à ce sujet en consultant les rapports d’activité de cette firme —, mais si Collecto obtient une part importante de ces contrats d’experts-conseils dans nos collèges, nous serions placés ici face à une sorte de marché exclusif confié à une firme, qui, je le rappelle, est administrée entre autres par les fournisseurs de contrats. Ce serait particulier, non ? Une drôle de façon de faire circuler les deniers publics en circuit fermé.

Difficile par ailleurs de ne pas envisager que cette exclusivité contractuelle permette également aux diverses expertises, issues d’un même réseau, d’imposer une forme de culture managériale et pédagogique inféodée aux grands objectifs de la Fédération des cégeps. L’art de penser en rond, quoi. Ces expertises ne connaissent bien souvent que peu de choses à propos de l’histoire et de la culture de nos établissements, de notre vivre-ensemble.

Un marché lucratif

Selon les rapports d’activités des deux dernières années, Collecto a généré des profits de près de deux millions de dollars. Surprenant quand même pour un organisme à but non lucratif.

Les administrateurs et les membres de Collecto ne tirent bien sûr pas de bénéfices de ces importants gains — ce serait illégal, car selon Revenu Québec1aucune partie du revenu d’un OBNL ne doit être payable à un propriétaire, à l’un de ses membres ou à l’un de ses actionnaires ni être autrement mise à leur disposition personnelle —, mais il serait intéressant de savoir où et comment sont réinvestis ces importants profits. De plus, généralement, un OBNL est limité dans les gains qu’il peut accumuler. Qu’en est-il de Collecto ?

J’ai fait quelques demandes de renseignement via le site internet de Collecto pour tenter de savoir où allaient ces bénéfices, où étaient réinjectées ces importantes sommes d’argent. Mes demandes sont demeurées lettre morte jusqu’à maintenant.

Demande d’accès à l’information

Comme je n’ai pas obtenu de réponse auprès de Collecto, le 7 juin dernier, j’ai fait une demande d’accès à l’information auprès du Cégep de Rimouski. Je souhaitais pouvoir consulter les contrats que le collège a octroyés à cet organisme au cours des trois dernières années.

J’aurais aimé savoir si ces contrats avaient été attribués de gré à gré ou avaient fait l’objet d’appels d’offres. J’aurais aimé connaître les montants de ces contrats et le type de services requis. J’aurais aimé comprendre également comment le Cégep de Rimouski pouvait octroyer des contrats à Collecto sans se placer en position de conflit d’intérêts. Ce sont des questions légitimes, il me semble.

En plus de permettre de bien connaître la mécanique d’attribution de ces contrats, il m’apparaît que, dans le contexte de difficultés budgétaires actuelles, il serait intéressant de consulter ces documents afin de mieux évaluer comment sont utilisées certaines portions du budget du Cégep de Rimouski.

À suivre

Le 30 juin dernier, le Cégep de Rimouski m’écrivait pour me dire qu’il refusait de me transmettre les contrats. La Direction invoquait alors les articles 23 et 24 de la Loi sur l’accès à l’information qui établissent qu’un organisme public ne peut communiquer un renseignement industriel, financier ou commercial fourni par un tiers sans son consentement. Ce qu’on doit donc comprendre de cette réponse, c’est que Collecto (le tiers concerné) a refusé que le collège me fournisse ces contrats. Allez savoir pourquoi…

Au début du mois de juillet dernier, j’ai fait une demande de révision de cette décision du cégep auprès de la Commission d’accès à l’information du Québec. Je suis toujours en attente de réponses.

Je ne peux que soulever des questions pour l’instant. Mais j’espère bien que quelqu’un quelque part pourra jeter un peu de lumière sur tout ça.

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Notes

1 Revenu Québec, Organisme sans but lucratif, [en ligne]. https://www.revenuquebec.ca/fr/entreprises/cycle-de-vie/demarrer-une-entreprise/incidence-du-choix-de-la-forme-juridique-dune-entreprise-sur-ses-obligations-fiscales/organisme-de-services-publics/organisme-sans-but-lucratif/ (Page consultée le 15 novembre 2022).