Un retour sur la campagne électorale et les cégeps

Benoît Collette, enseignant de sciences politiques

Sans surprise, l’électorat québécois a reporté la CAQ au pouvoir pour un second mandat, même si le premier ministre affichait autant d’enthousiasme durant la campagne qu’un patient dans un cabinet de dentiste, avec un bruit de fond de fraiseuse. Même Rimouski s’est « donné Legault », pour reprendre un vieux slogan, avec une ministre en prime.

On a parlé de bien des enjeux lors de la campagne électorale : le troisième lien, l’immigration, l’inflation, le troisième lien, la pénurie de main-d’œuvre, le troisième lien, sans oublier le troisième lien. Au niveau local, la crise du logement a attiré l’attention et la nouvelle députée caquiste promet un comité pour régler la crise rapidement, à suivre… On croyait bien que l’environnement allait être à l’avant-scène, mais bon, comme on dit quand on veut se faire croire que ça va aller mieux : meilleure chance la prochaine fois.

Puisque nous sommes dans une institution d’enseignement supérieur, du moins aux dernières nouvelles, je me permets de vous poser une question : avez-vous entendu parler des cégeps pendant la campagne ? C’est ça que je pensais.

L’État québécois investit 57 % de son budget dans deux domaines : la santé et l’éducation. Ce dernier secteur représente quelque 19 milliards $ pour l’année 2022-23, d’après les prévisions budgétaires. On a promis des millions pour rénover les écoles décrépites (avec extra champignons) et pris des engagements pour contrer la pénurie d’enseignantes et d’enseignants. Le parti conservateur avait même promis de recycler les fonctionnaires mis à la porte, parce qu’il faut bien « dégraisser » l’État, pour combler le manque de profs… Néanmoins, il y eut très peu d’attention portée aux cégeps et aux universités dans les médias et durant les débats électoraux.

En regardant les programmes électoraux, on constate que les partis avaient pourtant pris plusieurs engagements pour les cégeps. Cela allait de QS qui avait promis, à terme, d’instaurer la gratuité scolaire et la rémunération des stages, au parti conservateur, qui aurait permis aux étudiantes et aux étudiants de soustraire aux cotisations pour les associations étudiantes (qui auraient dû soumettre leurs finances à des firmes comptables pour vérification). Alors que le PQ voulait faire passer l’épreuve uniforme de français à tout le monde, le Parti libéral voulait revenir sur la décision du gouvernement et accorder 100 millions $ au collège Dawson pour son agrandissement (tout comme les conservateurs), tout en garantissant la complète liberté de choix de la langue d’enseignement.

La CAQ, de son côté, outre les promesses sur la liberté académique et la valorisation de la recherche, affirmait ceci, dans sa plateforme électorale : « L’arrimage entre l’enseignement supérieur et les entreprises mérite cependant d’être bien meilleur ». Bon, ça sent le réchauffé de l’époque libérale (dont on garde un petit goût rance dans la bouche) et c’est fort peu original, mais force est de constater que le contenu de la plateforme est bien mince.

Avec le départ de la ministre titulaire Danielle McCann, qu’on surnommait affectueusement McCan’t et qui s’est distinguée par son invisibilité, nous avons une nouvelle venue au ministère de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, élue pour la première fois en octobre. Regardons son parcours professionnel : diplômée en journalisme et science politique, 15 ans comme journaliste et chef d’antenne à TVA/LCN, candidate pour le parti conservateur du Canada, en plus d’avoir sévi à l’Institut économique de Montréal entre 2016 et 2019. L’Institut économique de Montréal, un think tank dont la solution à tous les problèmes de la société est, en résumé : moins d’État, plus de marché. En feuilletant les articles qu’elle a publiés là-bas, qui portent beaucoup sur l’inefficacité du système de santé et la réglementation alimentaire, j’ai remarqué un article intitulé La compétence ou le nombre d’années d’expérience ? Permettez-moi de la citer, parce que c’est fort instructif :

Le principe de l’ancienneté occupe une place prépondérante dans les conventions collectives. Je le sais, j’ai été syndiquée durant 20 ans. Et cette règle devrait changer.

Soyons clairs, je ne suis pas en train de dire que les années d’expérience n’ont pas de valeur. Pas du tout ! L’expérience a une valeur importante et les employeurs ont une forte incitation à la rémunérer. Ce que je dis, c’est que l’ancienneté ne devrait pas être le critère déterminant lors d’une embauche comme c’est le cas au Québec actuellement. […]

Prenons l’exemple de notre système d’éducation, dans lequel les enseignants de l’école publique sont rémunérés uniquement en fonction de leur ancienneté et leur nombre d’années de scolarité. Puisque la rémunération augmente mécaniquement avec le temps, peu d’efforts sont déployés afin de se démarquer. Si on appliquait le principe de la rémunération au mérite, cela permettrait de rehausser la qualité de l’éducation de manière substantielle, puisque les incitations sont organisées afin d’encourager le dépassement personnel. [1]

Beau programme d’une révolution néo-libérale en éducation… Je vous laisse juger vous-mêmes de ce que ces paroles impliquent et sous-entendent, vous êtes de grandes personnes. Je serais très curieux de connaître la définition du concept de mérite et son corollaire, la mesure du mérite (on est dans l’idéologie de la nouvelle gestion publique, comme le faisait remarquer notre collègue Sara Trottier dans la dernière édition de la Riposte). En période de négociations, ça promet !

Parlant de négo, petite surprise : la ministre Sonia Lebel demeure à la tête du Conseil du trésor et va donc être impliquée de nouveau dans le dossier. Dans les dernières années, on changeait souvent de ministre entre deux rondes de négociations. Difficile de dire quel sera l’impact de cette nomination, mais espérons que nous aurons une nouvelle convention, satisfaisante, plus rapidement que la dernière fois.

Avec tout ça, on oublie un peu le feu qui brûle doucement : la question de l’extension de la loi 101 au cégep, qui a fait l’objet de résolutions dans des dizaines d’assemblées syndicales. Le gouvernement y a fermé la porte avec son projet de loi 96, mais bon, il s’était initialement engagé à donner les 100 millions $ à Dawson avant de virer de bord. Toutefois, le nouveau ministre chargé de la loi 101, Jean-François Roberge et surtout, le premier ministre, ne semblent pas chauds à l’idée d’agir en ce sens, en ce début de second mandat. À suivre dans un cégep près de chez vous !

 

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Notes

[1] Pascale Déry, « La compétence ou le nombre d’années d’expérience? », [en ligne]. https://www.iedm.org/fr/62991-la-competence-ou-le-nombre-d-annees-d-exp… (Page consultée le 15 novembre 2022).