Coups de cœur du comité féministe

Caroline Laberge, enseignante de cinéma

 

Le Sel de la Terre (1954) Herbert Biberman

Dans une ville minière du Nouveau-Mexique, après un grave accident de travail causant la mort d’un des leurs, des mineurs d’origine mexicaine et métisse se mettent en grève. Ils veulent bénéficier des mêmes salaires, avantages et normes de sécurité que les travailleurs blancs. Or, ils se voient forcés de retourner au travail, la grève est déclarée illégale, sous peine d’emprisonnement. Comme le piquetage est interdit pour les mineurs, les femmes proposent de prendre la place de leurs maris. Comme elles ne sont pas employées par la mine, elles ne risquent pas l’incarcération. Les hommes s’y opposent fermement, mais la détermination des femmes l’emporte : elles iront piqueter.

Conséquence de ce renversement des rôles, les hommes doivent rester au foyer pour s’occuper des enfants, faire la lessive, cuisiner et, surtout, aller chercher de l’eau tous les matins à plusieurs kilomètres de la maison. Les hommes se voient confrontés aux conditions et aux difficultés auxquelles leurs épouses font face quotidiennement. La lutte prend alors une nouvelle tournure.

Rappelons les faits entourant l’époque de réalisation du film. Dans les années 50, la Guerre froide bat son plein et les États-Unis sont plongés dans une paranoïa anticommuniste. Évidemment, Hollywood n’y échappe pas. Herbert Biberman (réalisateur), Michael Wilson (scénariste) et Paul Jarrico (producteur) se voient chassés d’Hollywood. En réponse à cette chasse aux sorcières, les créateurs s’enfuient au Nouveau-Mexique pour tourner ce film qui met de l’avant le récit d’une lutte syndicale mettant en scène de vrais mineurs. Le récit est inspiré d’une histoire réelle, et Biberman décide la raconter l’histoire du point de vue d’Esperanza, une femme qui tente d’élever ses trois enfants pendant que son mari, Ramon, s’affaire à la mine. Prêt à paraître en 1954, le film est censuré jusqu’en 1965.

Toute la force de l’œuvre réside dans son propos et son exécution. En gardant un traitement réaliste et en faisant le choix de confier les différents rôles à des acteurs non professionnels (à l’exception d’Esperanza), choix exceptionnel pour l’époque, Le Sel de la Terre est un rare film politique et prolétaire américain.

Le Sel de la Terre est une œuvre importante qui ne doit pas être oubliée, tant pour son récit que pour l’histoire qui se cache derrière sa réalisation. Une histoire sur la lutte ouvrière et syndicale, féministe, antiraciste et anticolonialiste. Un impressionnant pied de nez à Hollywood et à la classe politique de l’époque. 

Le film est disponible gratuitement sur la plateforme Kanopy. Il s’agit d’une plateforme de visionnement gratuite si vous êtes abonnés à une bibliothèque participante, dont la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).

 

Killing Eve (2018 - 2022) Phoebe Waller-Bridge

Killing Eve est une série britannico-américaine qui raconte l’histoire d’Eve, une espionne pour le MI5, l’agence d’espionnage britannique. Loin du métier d’agent secret qu’elle s’était imaginé, Eve s’ennuie à mourir derrière son bureau au travail. Villanelle, quant à elle, est l’antagoniste parfaite. Belle et flamboyante, c’est une psychopathe et, surtout, une tueuse à gages sans morale ni principes. Le chemin d’Eve et de Villanelle se croisera et, dans leur perpétuel jeu du chat et de la souris, elles deviendront rapidement obsédées l’une par l’autre.

Killing Eve nous propose un récit d’espionnage rythmé, bien ficelé, des dialogues savoureux, des personnages imparfaits, parfois méprisables, mais auxquels on ne peut que s’attacher.

Une distribution impeccable : Sandra Oh (Eve), actrice canadienne de grand talent, Jodie Comer (Villanelle), qui crève l’écran, sans oublier Fiona Shaw (Carolyn) et Kim Bodnia (Konstantine), qui donnent droit à une interprétation juste et nuancée de deux personnages qui ne nous font jamais tout à fait savoir de quel côté de l’échiquier ils se trouvent.

Le récit se déroule essentiellement en Europe, où Villanelle est amenée à voyager sur le continent afin d’exécuter les tâches qui lui sont confiées : tuer. J’avoue avoir découvert cette série en plein confinement. Le récit de Killing Eve m’a permis de voir ces vieilles villes d’Europe un peu à travers mon petit écran. Le traitement de la série n’est pas à la sauce américaine, un vrai vent de fraîcheur à travers les séries populaires des dernières années. Killing Eve évite les clichés tout en s’appropriant les codes du film d’espionnage, nous donnant droit à un jeu assez physique de la part des deux actrices, parfois à la Jason Bourne. La direction artistique est tout simplement magnifique, tant pour ses costumes que pour ses décors. Franchement, cette série est un véritable coup de cœur.

Cependant, comme plusieurs critiques le soulignent, la quatrième saison est plus faible, le récit prend une direction différente, direction qui n’est peut-être pas tout à fait la bonne. De mon côté, je vous avoue que la dernière saison n’a certainement pas gâché mon plaisir.

Parce que les filles aussi ont droit à leurs espionnes déchues et à leurs psychopathes sanglantes et sans morale, Killing Eve est un incontournable. La série est disponible sur plusieurs plateformes en ligne, dont Crave.