Aux grands maux les grands moyens

Philippe De Carufel, responsable de la coordination et des pratiques syndicales

 

La grève, c’t’un grand mot (et d’aucuns diront que c’est aussi un grand maux). On l’utilise rarement de gaieté de cœur. Habituellement, on en parle davantage comme on brandit une menace, que l’on se fait autant à soi-même qu’aux autres. Plus souvent qu’autrement, le mot est teinté d’un aveu de ras-le-bol et par le constat navrant que les autres mots n’auront pas suffi, que les autres moyens n’auront pas donné les résultats attendus. On en parle pendant longtemps comme d’une éventualité, mais plus les mois passent, plus la menace devient tangible, concrète, jusqu’à s’inscrire dans un calendrier. La grève, c’est autant une réaction qu’une action, un repli dans les tranchées autant qu’une déclaration de guerre. C’est aussi bien une conséquence qu’un moyen d’(ex)pression. Personne ne veut s’y rendre, mais il faut éventuellement envisager sa nécessité. La grève, c’est le moyen qu’on se donne pour nos ambitions.

Nous étions 100 000 dans les rues de Montréal, le 23 septembre dernier, pour avertir le gouvernement de ce qui nous attend collectivement si les discussions continuent de tourner en rond. Nous étions 100 000 à marcher par un beau samedi pour signifier notre opposition à la ridicule proposition d’augmentation salariale de 9% sur 5 ans du gouvernement Legault, pour souligner que le système public a plus que jamais besoin qu’on en prenne soin. Nous étions 100 000 pour rappeler que, bientôt, nous serons 420 000 en grève et que 420 000 travailleuses et travailleurs qui ne travaillent pas, ça t’enlève l’impression d’être en contrôle sur un moyen temps.

Via leurs syndicats respectifs, 420 000 personnes se dotent présentement de mandats de grève générale illimitée parce qu’ils commencent à en avoir ras le pompon de se faire dire qu’il n’y aura pas de Labatt Bleue pour tout le monde (entre vous et moi, j’pas certain-certain qu’on a les mêmes référents que François Legault quand vient le temps d’utiliser des saveurs comme analogie), que la flexibilité est à géométrie variable (vos compromis sont attendus, les miens viendront ensuite) et qu’au maximum 5 demandes par secteur seront considérées si vous espérez qu’on commence réellement à négocier. Si le gouvernement voulait expressément nous forcer à augmenter la pression et à tenir des assemblées générales qui invitent nos membres à se prononcer sur une grève, il ne ferait pas mieux.

Au-delà des salaires et des conditions de travail, c’est surtout la qualité des services et des emplois du secteur public qui mérite d’être défendue : tout le monde bénéficie des services que nous offrons. Jusqu’à maintenant, les votes des syndicats ont démontré que partout au Québec, malgré les enjeux qui ne sont évidemment pas les mêmes pour tous les secteurs d’emplois, malgré les préoccupations aussi idéologiques que structurelles qui varient de l’un à l’autre, nous avons un langage commun : celui du bien collectif et du souci de préserver la qualité de nos services publics. 

Il faut s’y attendre, dans une joute médiatique infantile, nous serons accusés de tenir la population en otage, d’empêcher l’accès aux services, de briser les liens de confiance entre nous et la population. On nous reprochera de chialer pour rien, de trop demander et de ne rien accorder en échange, de ne pas écouter et de trop crier. Au lieu de nous dire mobilisé.es, on nous dira dérangeant.es. Nous serons menacés de lois spéciales et de sessions qui débordent. On nous dira que les grèves ne donnent jamais rien, qu’on se fait mal plus qu’on fait mal au gouvernement. Et pourtant, les sondages jusqu’à maintenant démontrent que la population est notre alliée, qu’elle espère tout comme nous une écoute favorable face à nos demandes. Des cas de jurisprudence récents reconnaissent favorablement la liberté d’association et viennent protéger le droit de grève, y compris au Québec. Et à travers le temps, de nombreuses grèves ont donné des résultats probants, que ce soit l’introduction du salaire minimum en 1919, la création du RREGOP en 1971-1972 ou les congés parentaux payés en 1979. Et la force de Front commun, s’il ne faut en retenir qu’une seule, c’est celle du nombre. Historiquement, nous n’aurons jamais été aussi nombreuses et nombreux à nous serrer les coudes dans une négociation qui pourrait tellement, mais tellement être facile s’il y avait un minimum de considération de la part du gouvernement. Mais faut croire que c’est « dissisille », prioriser les services publics quand on vient d’investir déjà 7 milliards dans une usine à batteries, et qu’on a offert des augmentations salariales de 30% à nous-mêmes ainsi qu’à nos amis.es député.es.