Coup de coeur féministe

Aimée Lévesque, membre du comité féministe du SEECR

 

Elif Shafak, 10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange, Flammarion, 2020.

Romancière turque la plus célébrée de par le monde avec Orhan Pamuk, Elif Shafak dérange aussi : après avoir écrit sur des liens d’amitié et de sang entre familles arméniennes et turques dans La bâtarde d’Istanbul (publié en français en 2008), elle raconte cette fois, dans 10 minutes et 38 secondes, l’histoire d’une prostituée, Tequila Leila, assassinée, puis retrouvée dans une benne à ordures à Istanbul.

Cette mort pour le moins glaçante et révoltante devient pourtant l’occasion pour les ami.es de Leila, toustes marginal.es à leur façon, de tisser des liens encore plus solides. Dans une tentative de redonner à leur amie sa dignité, il et elles se retrouvent au cimetière des Abandonnés, là où les tombes « portent des numéros » — un cimetière qui existe réellement, comme le souligne Shafak, et où sont enterrés les corps des « indésirables » de la société, dont des réfugié.es qui ont perdu la vie dans la traversée de la mer Égée.

Bien sûr, la violence genrée, et pas seulement celle menée contre Tequila Leila, compose la trame de ce roman souvent dur, surtout lorsqu’on connait la situation des femmes et des autres minorités dans la Turquie actuelle. Cependant, le livre est aussi traversé par la puissance d’une amitié; et cette amitié qui va au-delà de la mort, on y croit, et elle nous permet de mieux faire face à la violence qui défigure sans cesse « ce monde étrange », ailleurs comme ici.