Un été sobre

Tristan Clermont, enseignant au Département de technologie forestière

 

Tenez bon, chers collègues, le repos est à nos portes! Évidemment, cette chronique n’est pas un impératif pour réduire votre consommation d’alcool (je laisse les soins infirmiers défendre les recommandations en la matière). J’aimerais plutôt vous inviter à reprendre contact avec l’essence des vacances : du temps pour vous connecter avec le monde qui vous entoure. « Des plans pour l’été? » J’entends cette locution de plus en plus souvent depuis quelques semaines, mais je reste partagé sur ce qu’elle incarne. Ne vous sentez-vous pas pressés de répondre par des projets de voyages, de rénovations ou d’activités extravagantes? N’y a-t-il pas un incitatif à faire quelque chose, et de surcroît, quelque chose de « cool » (lire : impressionnant)? Un grand voyage par exemple? Ma proposition est la suivante : pourquoi ne pas se la couler douce, mais sobrement?  

En toute transparence, des idées de projets d’envergure me sont venues spontanément. Cependant, mes dernières lectures sur la vie sobre les ont légèrement réorientés. Je prends alors conscience qu’une tension existe en moi, entre ma responsabilité sur les choses que je déplore au quotidien et mon désir de profiter de ce que la vie a à offrir. Sachant que de plus en plus de citoyen.ne.s sont aux prises avec une fatigue climatique (Leblanc, 2023), j’en comprends que ce sentiment est répandu.  Ne vous méprenez pas : j’apprécierais parcourir l’Europe durant mes vacances d’été. Mais de réaliser que mes choix ont des impacts sociaux et environnementaux, puis de ne pas en tenir compte, ne m’est pas (ou de moins en moins) acceptable. L’idée de vivre comme si nous avions une planète de rechange me fait même honte. C’est alors une opinion impopulaire et rebutante aux premiers abords que l’appel à la sobriété, comme le démontrent si bien Pascale Devette et Michel Lallement (2025) dans leur article « Qu’est-ce qu’une vie sobre? » en s’appuyant sur les écrits de Supiot (2019) et Devette (2024) :  

la sobriété favorise une relation au monde extrêmement rare et exigeante : celle consistant à ne pas prendre le pouvoir qu’on pourrait pourtant accaparer, à s’autolimiter malgré les injonctions à l’excès, à renoncer à posséder ce qui est accessible, à refuser de performer des privilèges qui abaissent les autres afin de transmettre un milieu habitable où l’enracinement est possible.  (p. 15, je souligne)

J’y vois cependant une belle occasion de se mettre en phase avec des valeurs de respect et d’équité, de découvrir des lieux inédits proches de chez soi, de ralentir pour « recharger ses batteries » et de s’impliquer dans sa communauté pour créer des liens durables.  

Parce qu’au-delà de la question environnementale et sociale, c’est de cela qu’il est finalement question : l’enracinement possible pour tous et la vraie liberté, par la possibilité d’exister pour soi-même plutôt que pour nourrir un système qui encourage l’épuisement des individus et des ressources naturelles. Tout cela en partageant ce que le monde a à offrir, sans en prendre plus, ni moins.  

Références: 

Devette, Pascale et Michel Lallement. 2024. « Qu’est-ce qu’une vie sobre ? », Lien social et Politiques, no 93, p. 5–21. https://doi.org/10.7202/1115785ar 

Devette, Pascale. 2024. « Privilège et sacrifice chez Simone Weil : entre décroissance de l’égo, attention impersonnelle et résistance au pouvoir », Recherches féministes, vol. 37, no 1, p. 63-79. 

Leblanc, Étienne. 2023. « Comment prévenir la fatigue climatique? », Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2010569/fatigue-changements-climatiques-medias-  

Supiot, Alain. 2019. Mondialisation ou globalisation ? Les leçons de Simone Weil,  Paris, Éditions du Collège de France.